Note : dans ce document, le masculin désigne les deux sexes.
Le perfectionnisme est défini par Curran, T. & Hill, A.P. "...comme une combinaison de normes personnelles excessivement élevées et d'auto-évaluations trop critiques." Cet article commence par une autre citation des mêmes auteurs : *
« Un modèle de perfectionnisme multidimensionnel particulièrement bien étudié est celui proposé par Hewitt et Flett (1991). Dans leur modèle, le perfectionnisme est compris en termes d'orientation des croyances et des comportements perfectionnistes. Lorsque ces derniers sont orientés vers le moi, les individus attachent une importance irrationnelle à la perfection, ils ont des attentes irréalistes à leur égard et sont punitifs dans leurs auto-évaluations (perfectionnisme auto-orienté). Lorsqu'ils sont perçus comme venant des autres, les individus estiment que leur contexte social est excessivement exigeant, que les autres les jugent sévèrement et qu'ils doivent faire preuve de perfection pour obtenir l'approbation (perfectionnisme socialement prescrit). Lorsque les attentes perfectionnistes sont dirigées vers les autres, les individus imposent des normes irréalistes à leur entourage et évaluent les autres de manière critique (perfectionnisme orienté vers les autres). *
Sur le lieu de travail, certaines personnes occupant des postes à responsabilité agissent parfois comme si elles étaient adeptes de la théorie selon laquelle le perfectionnisme est réalisable. Elles recherchent activement la perfection dans chaque tâche accomplie par elles-mêmes, et parfois par tous les membres de leur organisation. Elles ne tiennent pas ou peu compte de leur situation personnelle ou de celle des autres, par exemple, de leur état de santé ou de leur niveau de fatigue dans l'exercice de leurs tâches professionnelles. Ces dernières ne sont pas classées selon leur importance. Le temps et l'espace sont considérés comme extensibles, de sorte que l'horaire de travail déborde généralement sur d'autres considérations, telles que le besoin de vie familiale et de temps libre. Les personnes perfectionnistes se conduisent de manière quelque peu impitoyable, avec la tendance à traiter les autres travailleurs ou les figures d'autorité selon les mêmes règles. Ils supposent que cette attitude est soit d'une grande importance pour leur performance et leur efficacité au travail, soit un élément incontournable de leur destin.
Malheureusement, le perfectionnisme s'avère totalement contre-productif car il ne tient pas compte de ses limites et des limites des autres. Littéralement, les perfectionnistes ne se laissent pas de répit. Avec le temps, ils se rapprochent inexorablement du point de rupture : par exemple, des états dépressifs communément appelés "burn out" ou "burn in". Le premier terme tente de décrire l'état de personnes tellement épuisées qu'elles doivent quitter leur travail immédiatement afin de retrouver un minimum d'énergie disponible. Le second terme, "burn in", s'applique aux personnes qui sont au bord de l'épuisement mais qui continuent à travailler, parvenant à peine à retrouver suffisamment d'énergie pendant des périodes de repos minimales.
Les personnes poussées par le perfectionnisme, qu'elles s'imposent à elles-mêmes ou provenant d'exigences irréalistes de leurs supérieurs, de leurs collègues ou de leurs clients, présentent de nombreux symptômes associés au stress, allant de troubles physiques tels que des difficultés au niveau du sommeil ou de l'alimentation jusqu'à des comportements dépressifs, une anxiété grave et des sentiments intenses et agressifs. Tout cela est initié par une recherche excessive de la perfection, cela se manifeste par une sur-responsabilité et conduit au cynisme et à l'hostilité. Souvent, les personnes perfectionnistes apprennent à maîtriser ces tendances au travail, mais elles les laissent se manifester, à leur propre consternation, lorsqu'elles rentrent chez elles. Par la suite, les problèmes avec leur conjoint, leurs enfants ou leurs amis proches ont tendance à atteindre un niveau intolérable. En outre, parmi tout l'éventail des attitudes perfectionnistes, on trouve une tendance à éviter de chercher de l'aide sur le plan personnel au nom de l'autonomie, demander de l'aide est alors considéré comme un signe de faiblesse.
Les facteurs du perfectionnisme
Qu'est-ce qui amène une personne à adopter une attitude perfectionniste ? La réponse est relativement complexe. D'après les témoignages de personnes qui reconnaissent ce trait de personnalité et qui cherchent à évoluer vers une attitude plus productive et plus vitale, le perfectionnisme semble s'acquérir tôt dans la vie et de diverses manières.
Lorsqu'un enfant prend conscience de ses talents, par exemple en gymnastique, il "repousse spontanément les limites", en essayant d'accomplir de plus en plus de choses. S'il vit avec des parents, des enseignants et d'autres adultes qui soutiennent ses efforts mais lui montrent qu'il existe un danger à dépasser ses capacités, il reçoit généralement le message, souvent renforcé par quelques échecs douloureux. Au contraire, s'il est constamment poussé par ses parents et d'autres figures d'autorité à accomplir davantage, indépendamment de ses limites et de ses sentiments, un message lui est inculqué et il peut le suivre jusqu'à l'âge adulte : "travail, travail, travail", ainsi va le message, en ignorant les activités dédiées à développer ses amitiés et sa créativité personnelle. Par conséquent, le perfectionnisme s'acquiert généralement dans le cadre de ses propres attentes excessives ou de celles de personnalités adultes influentes. Parfois, il provient d'un désir inconscient de surpasser un frère ou une sœur, révélant ainsi une peur cachée de ne pas être assez aimé.
Être "parentifié" est une autre source importante du perfectionnisme, dont la personne concernée prend rarement conscience sans l'aide d'un expert. Le terme "parentifié" fait référence à une expérience qui commence généralement dans la petite enfance : le fait, que son ou ses propres parents attendent de vous d’être et d’agir comme une figure parentale. Cette situation est courante chez les parents qui présentent un défaut de personnalité, les plus fréquents étant une privation affective, une anxiété grave, de l'angoisse, des traits autistiques, des tendances dépressives ou d'autres tendances qui entrent dans les catégories des maladies mentales. Ces parents ont souvent recours à l'alcool et aux drogues, illicites ou non, afin de soulager leur douleur intérieure.
L'enfant ressent la détresse de ses parents et essaie spontanément de les aider en étant gentil, serviable, responsable et "adulte". Mais dans de telles circonstances, un enfant ou un adolescent n'a pas les ressources nécessaires pour apporter une aide efficace à son parent en difficulté, et la question de savoir si même un parent adulte pourrait le faire est discutable. En fait, les efforts du fils ou de la fille sont voués à l'échec, car aucun enfant ne peut être effectivement le parent de ses parents. En outre, un enfant dans cette situation ne reconnaît pas la futilité de ses tentatives ; poussé par une compassion mêlée de sentiments de culpabilité, il s'efforce de faire davantage, attribuant à ses défauts personnels le constat incontournable que, malgré tout ce qu'il tente, son parent continue de souffrir.
Que peut-on faire ?
La personne perfectionniste doit avant tout reconnaître la nature obsessionnelle-compulsive de son attitude, en reconnaissant sa différence avec le désir sain de réussir en relevant avec succès des défis difficiles. La réussite exige généralement une action concertée, réaliste et persistante, ce qui suppose que l'individu prenne soin de lui. De plus, la réussite s'accompagne de plaisir et de récompenses qui encouragent à poursuivre le travail. A contrario, le perfectionnisme impose l'impossible, une voie sans issue qui ne mène qu'à l'épuisement. Il impose de façon obsessionnelle la douleur et "interdit" le plaisir...
Une fois les tendances perfectionnistes reconnues, la deuxième étape consiste à faire une évaluation honnête de ses besoins personnels, notamment physiques, émotionnels, cognitifs, expressifs et relationnels. Une question se pose alors : en tenant compte de ces besoins, comment gérer ma charge de travail et le reste de ma vie ? Une autre façon de traiter la question est de se considérer comme une source d'énergie renouvelable. Dans cette optique, il est important d'évaluer la relation entre la dépense en termes d'énergie pour le travail et l'apport en termes de renouvellement énergétique : est-ce que je tire suffisamment d'énergie de sources qui m'aident à reconstituer mes ressources, c'est-à-dire du repos, des loisirs récréatifs (littéralement la re-création), des relations affectives épanouissantes et de la créativité ?
Sous un autre angle, considérons maintenant le cas d'une personne exposée au perfectionnisme par ceux qui exercent une autorité. Le perfectionnisme, dans ce cas, tend à être une règle non écrite que les subordonnés devront suivre. Dans de telles circonstances, la question suivante se pose : le perfectionnisme de mon manager renforce-t-il le mien ? Dans l'affirmative, la première tâche consiste à réajuster son attitude personnelle, mais la pression venant d'en haut sera toujours là. Pour contrer cette pression, le recours est double : il faut trouver les moyens de faire prendre conscience à ces autorités de leurs exigences professionnelles irréalistes, et proposer des objectifs et des processus de travail alternatifs. Si cela ne fonctionne pas, un travailleur, pleinement conscient des pièges du perfectionnisme, peut avoir recours à des mesures d'autoprotection dans son domaine de compétence. On pense ici à la redéfinition silencieuse des tâches, des calendriers, des budgets, des objectifs et des processus, en attendant que la réalité se manifeste aux yeux des dirigeants à l’attitude perfectionniste. Cela revient à prôner la "désobéissance civile", mais dans de nombreux cas, cette résistance protège à la fois les travailleurs et l'organisation contre les effets néfastes du perfectionnisme managérial.
En résumé, le perfectionnisme n'est pas un désordre de personnalité ou de groupe insoluble. C'est un facteur de vulnérabilité qui engendre des problèmes tant pour les travailleurs que pour les cadres, et qui a des répercussions négatives sur la dynamique d'un lieu de travail. S'il émane de la haute direction, il peut affecter toute une organisation. Son danger majeur réside dans son caractère insidieux : la plupart des personnes qui en sont affectées ignorent son influence délétère. Elle peut conduire les individus et les groupes de travail au bord de l'épuisement, entraînant des problèmes de santé physique et psychologique, ainsi que les conséquences d’une perte d'intérêt pour les processus de travail : rotation du personnel et absentéisme. La reconnaissance rapide de son influence négative invitera à la remplacer par une attitude et un comportement comportant une double force gagnante : une forte orientation vers la réalisation des objectifs, renforcée par un soutien constant des travailleurs.